Leyla Majeri - Harness the Sun

Harness the Sun, 2016
Arprim, Montréal

-Corita Kent
Listen to audio  here / ici

Alfonso Lingis: “Things are relays of the voice of the spirit.”

Teiji Itoh: “Gardens were first and foremost of the spiritual world.”

In an article on his Ayahuasca experiences, Rich Doyle writes of a moment when he felt invited to ask the plant intelligence a question.

Without thinking, I asked it what the Universe was. ‘‘The universe is a way of tricking itself. Next question.’’

This trickster ontology might remind us that the cosmos is capable of transforming itself in suddenly novel ways, forgetting its own premises...”

Leyla has often talked to me about the trickster. Archetypal spirits engaged in unsettling play. These entities can be natural and supernatural beings at once. An animal, for example, who possesses unusual powers and intelligence. A weather pattern. A shape-shifter. A strange invisibility operating in our midst.

She shared with me the notion that the Yokai, from Japanese folklore, begin where language ends. They are an expression of energy. I have told her I feel like an infant in a crib when I engage with her work. There is something playful and mischievous and even slightly disconcerting in these shapes that smile and hold your gaze. The psychoanalyst might talk of a “primitive mind”, or an undifferentiated mind, that can’t quite distinguish between the dynamics of inner life and the liveliness of other- than-inner-life. In a space like this, you might take it personally and find yourself feeling a little paranoid. Or you might be curious about the subtle influences of this assembly of shapes. You might discover intentions and energies beyond your own head. The world is wigglier than we allow it, says Alan Watts.

Leyla is a gardener, co-designing a landscape. She works with simple materials in their basic states. Paper, paint. The nature of her shapes, in their simplicity and subtlety, are not self-evident. The smiling faces, a signature in Leyla’s work, are both an expression of the artist, and a gesture toward what lies beyond the artist. A wink at who-knows-what.

Nakagawara describes how the tradition of Japanese rock gardens considers “the landscape itself as an object for contemplation and a vessel for meaning, as opposed to a mere location, a vessel for human presence.” In this tradition, as in many others, rocks are living beings. They are vessels for other-than-human meaning. In the rock garden, as in many sites across the planet, stones may signify a visiting place for deities. Leyla does not endeavor to represent an entity; this work is not about mystification, or conjuring an illusion. Rather, it is about an orientation to a landscape and the beings who live there. She shows us how to cultivate a garden, drawing attention to the ground, to what sits beneath magical thinking.

Here, materials do their own evocative work. The shapes are rather vulnerable, they lean on one another, take a new shape. One shape subtends and supports another. They don’t quite add up to stable structure—shaky arrangements on the edge of deflating, delicate and pale. Some of these shapes are incomplete, missing sides, empty parts. Gaps and openings. The invisible is threaded into the structure, a part of its body. Like a ghost limb: a felt sense of what can’t be seen.

Tim Morton: “Every event in reality is a kind of inscription in which one object leaves its footprint in another one.”

We have said that our work together is about biodynamics and psychodynamics. We work across fields: A gardener might work by digging through and tending to material stuff, figuring out what it needs to grow and flourish, what sort of relationships need to be forged to create a life, what needs to die. A therapist would do practically the same work with the less-than-material stuff. Both require time and attention. Given the right conditions, something may open up and show itself. Most of what is happening in either field is barely perceptible, at least for a time. Practices, or paradigms of care, that require we attend to the spirit of a thing that eludes us and often surprises us. Each of us participates with lifeforms that are material and immaterial. Leyla’s work suggests how we might play in a larger community of beings.

Text by Katherine Kline

-

DOYLE, Rich. « Hyperbolic : Divining Ayahuasca », Discourse, vol. 27, no1, 2001, p. 6–33. ITOH, Teiji. The Gardens of Japan, Tokyo, Kodansha, 1998, 244 p. 

LINGIS, Alphonso. Body Transformations: Evolutions and Atavisms in Culture, Routlege, New York et Londres, 2005, 160 p. 

MORTON, Tim. Realist Magic, Objects, Ontology, Causality, Ann Arbor, Open Humanities Press, 2013, 228 p. 

NAKAGAWARA, Camelia. « The Japanese garden for the mind : The ‘Bliss’ of Paradise Transcended », Stanford Journal of East Asian Affairs, vol. 4, no2, 2004, p. 83-102 

WATTS, Allan. Out of Your Mind : Essential Listening from the Alan Watts Audio Archives, Sounds True Audio, 2004. 


_____________________________



Alfonso Lingis: “Things are relays of the voice of the spirit.”


Teiji Itoh: “Gardens were first and foremost of the spiritual world.”

Dans un article à propos de ses expériences avec l’Ayahuasca, Rich Doyle relate un moment où il a senti que l’esprit de la plante l’invitait à lui poser une question : 

« Without thinking, I asked it what the Universe was. The universe is a way of tricking itself. Next question. » 

« This trickster ontology might remind us that the cosmos is capable of transforming itself in suddenly novel ways, forgetting its own premises... » 

Leyla me parlait souvent des tricksters, ces esprits archétypaux, joueurs de tours inquiétants. Ces entités peuvent être naturelles ou surnaturelles : animaux dotés de pouvoirs ou d’une intelligence inusités, phénomènes météorologiques, maîtres du camouflage et autres étranges forces invisibles qui vivent parmi nous. 

Elle m’a appris qui étaient les yokai dans le folklore japonais, ces êtres aux limites du langage et à travers lesquels s’expriment diverses énergies. Je lui confiais que, devant son travail, je me retrouvais comme un nourrisson dans son berceau. Ces formes espiègles et malicieuses, qui sourient et nous fixent, ont quelque chose de troublant. En psychanalyse, on parlerait de l’esprit dans sa forme primitive, ou d’un esprit « indifférencié », qui ne saurait distinguer sa dynamique interne de la vie au-delà du soi. Cet espace peut avoir quelque chose d’intimidant. Certains s’y sentent un brin paranoïaques. D’autres, curieux de comprendre les influences subtiles qu’y exercent ces étranges assemblages de formes, y découvrent des intentions et des énergies qui dépassent leur entendement. Le monde, comme le disait Alan Watts, est plus frémissant que nous ne sommes prêts à l’admettre. 

Leyla est une jardinière, collaborant à la création d’un paysage. Elle travaille avec des matériaux simples, à l’état brut : du papier, de la peinture. Et pourtant, ses formes naturelles et subtiles ne relèvent en rien de l’évidence. Les visages souriants, sa signature, sont à la fois l’expression de l’artiste et celle d’un geste qui la dépasse, comme autant de clins d’œil à un monde inconnu. 

Selon Nakagawara, dans l’art traditionnel des jardins japonais, « le paysage, objet de contemplation en soi, véhicule toujours un sens. Il s’oppose au simple lieu, qui lui ne véhicule que la présence humaine ». Dans cette tradition, comme dans plusieurs autres, les pierres sont des êtres vivants, porteurs d’une signification qui dépasse les préoccupations humaines. Dans ces jardins, comme dans bien d’autres endroits sur terre, les pierres sont les marqueurs d’un lieu visité par les dieux. Leyla ne cherche pas la représentation d’entités particulières. Son travail ne s’applique ni à la mystification, ni 

à la conjuration d’une quelconque illusion, préférant plutôt nous orienter vers le paysage et les êtres qui l’habitent. L’artiste nous apprend ainsi l’art du jardinage, attirant notre attention vers le sol, et ce qui se trouve entre les strates de la pensée magique. 

Dans ce travail, les matériaux libèrent leur puissance évocatrice. Des formes vulnérables en mutation s’y appuient les unes aux autres, se sous-tendent et se soutiennent. La structure de l’ensemble est instable et les agencements qui en résultent paraissent pâles, délicats, chancelants. Certaines formes se montrent incomplètes : un côté manquant, une partie évidée. Par ces trous, ces ouvertures, l’invisible s’insère dans la trame de la structure telle une présence impalpable, un membre fantôme. 

Tim Morton : « Every event in reality is a kind of inscription in which one object leaves its footprint in another one. » 

Notre collaboration relève de la biodynamique et de la psychodynamique. Notre approche est transdisciplinaire. Ainsi, le travail d’une jardinière consiste à creuser et entretenir divers aspects de la matière, en y déterminant ce dont chacun a besoin pour croître et s’épanouir, les types de relations bénéfiques à la vie et le rôle que la mort doit parfois y jouer. Ce travail présente des similitudes avec celui de la thérapeute, bien que celle-ci s’occupe d’une toute autre matière. Dans les deux cas, beaucoup de temps et d’attention doivent être consacrés à réunir des conditions optimales. Ce n’est qu’en leur présence qu’on peut espérer voir éclore un petit quelque chose. La plupart des phénomènes reliés à ces deux domaines d’études sont à peine perceptibles, au début. À travers les pratiques et les paradigmes du soin, ceux qui exigent que l’on s’occupe de l’esprit d’une chose qui nous échappe et nous surprend, chacune de nous collabore avec des formes de vies matérielles et immatérielles. En ce sens, le travail de Leyla nous invite à revoir notre rôle au sein d’une plus vaste communauté d’êtres. 

Texte de Katherine Kline (traduction)

-

DOYLE, Rich. « Hyperbolic : Divining Ayahuasca », Discourse, vol. 27, no1, 2001, p. 6–33. ITOH, Teiji. The Gardens of Japan, Tokyo, Kodansha, 1998, 244 p. 

LINGIS, Alphonso. Body Transformations: Evolutions and Atavisms in Culture, Routlege, New York et Londres, 2005, 160 p. 

MORTON, Tim. Realist Magic, Objects, Ontology, Causality, Ann Arbor, Open Humanities Press, 2013, 228 p. 

NAKAGAWARA, Camelia. « The Japanese garden for the mind : The ‘Bliss’ of Paradise Transcended », Stanford Journal of East Asian Affairs, vol. 4, no2, 2004, p. 83-102 

WATTS, Allan. Out of Your Mind : Essential Listening from the Alan Watts Audio Archives, Sounds True Audio, 2004. 










Photo : Caroline Cloutier        




hi